The freedom of curves: Oscar Niemeyer

POEMA DA CURVA

Não é o ângulo reto que me atrai,
Nem a linha reta, dura, inflexível criada pelo o homem.
O que me atrai é a curva livre e sensual.
A curva que encontro no curso sinuoso dos nossos rios,
nas nuvens do céu,
no corpo da mulher preferida.
De curvas é feito todo o universo,
O universo curvo de Einstein.

Oscar Niemeyer

Oscar Niemeyer died on the the 5th of December.  A modernist, often of state architecture, a communist; but Niemeyer’s creativity and freedom are not reducible to this, and both mark our human space today.  The beauty of his labour renders our imagination freer  …

… beauty in architecture demands freedom, better: the unexpected.  While the right angle separates, divides, I have always loved curves, which are the very essence of nature.  It is not a simple matter to draw them, to give them the spontaneity that they demand and to subsequently organise them in space to offer the architectural spectacle that is sought.

I have no enthusiasm for rational architecture with its functional limits, its’ structural rigidity, its’ dogmas and its theories.  Reinforced concrete allows the architect who has a poetic sense to express him/herself.  Architecture is made of dream and fantasy, of curves and large free spaces.  One must know how to invent, calling upon all of the techniques that are at our disposal.  Why submit to rules, to intangible principles?

Oscar Niemeyer

What follows is an interview, in French, with Niemeyer, published in the Le Courrier de l’Unesco of June 1992.  The two quotations above are translated from the interview.

L’une des figures dominantes de l’architecture de notre temps, Oscar Niemeyer a donné au Brésil, son pays, et au monde, des ouvrages d’une Invention formelle éclatante. Son nom est lié, notamment, à la ville nouvelle de Brasilia, l’une des plus belles réalisations de l’urbanisme du 20e siècle.  Evoquant pour le Courrier son parcours exceptionnel, Il rappelle que l’architecture n’est pas seulement une création utilitaire, mais un art de signification majeure, où II privilégie l’Imagination plastique. Outre de nombreux articles, Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Textes et dessins pour Brasilia (Forces Vives, Paris 1965) et Oscar Niemeyer (Mondadorl, Milan 1975).  Edouard Bailby, Journaliste français, prépare un livre sur la vie et l’du grand architecte brésilien, qui devrait paraître à la fin de cette année (Balland, Paris).

OSCAR NIEMEYER répond aux questions d’Edouard Bailby

A 84 ans vous pouvez vous flatter d’avoir été l’architecte le plus prolifique du 20e siècle: plus de 300 oeuvres construites ou projetées dans le monde. Au sommet de votre parcours: Brasilia. Ressentez-vous aujourd’hui le besoin de poursuivre ce travail de création?

Le temps qui me reste est court. Je ne voyage plus, pour mieux me consacrer à ma famille, à mes amis. Mais je vais tous les jours à mon bureau de Copacabana, de neuf heures du matin à sept heures du soir, y compris le samedi. Je ne peux pas rester inactif, dans un fauteuil à ne rien faire, ou à ressasser les misères de l’existence. L’architecture a toujours été pour moi un passetemps en même temps qu’un travail; elle m’attire et m’absorbe, mais je n’y attache pas une importance excessive. L’essentiel est de me sentir bien dans ma peau, de rester solidaire des déshérités, de dénoncer les injustices sociales. Cela dit, comme j’ai acquis une certaine notoriété, les commandes continuent à affluer, même si j’ai réduit mon équipe à quatre personnes pour avoir plus de tranquillité. Il est important d’être présent sur la scène jusqu’à la dernière minute. On ne vit qu’une fois.

Vous continuez donc votre métier d’architecte. Quels sont vos projets en cours?

Je vais terminer l’axe monumental de Brasilia, construire trois bâtiments qui seront peut-être les plus beaux de la capitale: le Musée, la Bibliothèque nationale et les Archives historiques. Ils compléteront mon travail d’architecte dans le cadre du plan directeur de Lucio Costa, ce grand urbaniste brésilien auquel je dois beaucoup. J’ai d’autres projets qui ont déjà été approuvés: le Musée de Niterói, ville de 500 000 habitants en face de Rio de Janeiro; la Maison Brésil-Portugal, dans le centre de Lisbonne.  On m’en a commandé d’autres, notamment à São Paulo. Le dernier en date est celui de l’île de Gorée, au large de Dakar. J’y suis particulièrement attaché, car il me permet de dénoncer la déportation massive d’esclaves africains vers notre continent. Au Brésil, nous avons reçu plus de quatre millions de ces esclaves. Humiliés et exploités, ils n’en ont pas moins participé aux luttes de l’indépendance et apporté une contribution décisive à notre culture. A l’heure du cinquième centenaire de la découverte des Amériques par Christophe Colomb, il est fondamental de rappeler leur sacrifice.

Vous avez toujours été sensible aux problèmes de la souffrance humaine que vous avez exprimés dans plusieurs sculptures monumentales. La plus célèbre est celle de la main ensanglantée du Mémorial de l’Amérique latine, à São Paulo, qui symbolise la lutte des peuples contre l’oppression.  Qu’en est-il de Gorée?

Le Sénégal m’a proposé, par l’intermédiaire d’une éminente personnalité que j’estime particulièrement, de participer à un concours international. Comme d’habitude, j’ai refusé, mais en contrepartie je me suis engagé à faire le projet gratuitement. Il a été approuvé au début de cette année. Deux missions sont venues me voir à Rio de Janeiro pour mettre au point les détails. Les travaux devraient commencer prochainement. Le  monument proprement dit est une plaque de 80 mètres de haut dans laquelle j’ai découpé la forme d’un être humain. Posée sur la mer, elle symbolise l’esclave africain déraciné qui s’est évanoui dans l’espace. Le monument est relié au continent par une simple passerelle qui ne gêne pas sa visibilité. J’ai prévu un musée, un salon d’accueil pour les visiteurs de marque et un restaurant ouvert au public.  Ce projet me plaît car il est venu du fond de moi-même. Je l’ai conçu en me promenant.

Pourtant on a l’impression, en regardant vos les plus remarquables, qu’elles ont exigé de votre part un long travail de recherche, une grande méticulosité.

L’architecture, comme la sculpture, exige une certaine sensibilité, un pouvoir d’évasion. Lorsqu’un sujet m’est proposé, j’y réfléchis toujours seul, assis dans mon bureau, allongé sur un canapé, au cours d’une promenade. En général, je saisis rapidement l’image globale de mon projet, je ne me perds pas dans les détails. Parfois mon travail de création se fait comme dans un rêve. La mosquée d’Alger, dont on n’a malheureusement pas encore commencé la construction par manque d’argent, je l’ai même imaginée dans mon sommeil, au milieu de la mer, étincelante ‘de beauté. A mon réveil, j’ai commencé aussitôt à la dessiner. J’ai conçu le théâtre de Brasilia pendant les trois jours des fêtes du Carnaval. Dès le quatrième, à l’aube du mercredi des Cendres, après avoir ébauché quelques croquis, le projet était prêt.  J’ai coutume de dessiner sur  une toute petite échelle, ce qui étonne toujours mes confrères, puis de rédiger un texte explicatif en termes aussi sobres et clairs que  possible.  Je n’aime pas chercher des mots dans les dictionnaires. A l’époque où nous construisions Brasilia, chaque fois que le président Juscelino Kubitschek a lu mes textes, il a pu saisir aussitôt le sens de mes projets. Bien sûr, je consulte mon ingénieur pour savoir si mon projet s’adapte au terrain, au climat, si le budget prévu est suffisant, de façon à y apporter les modifications nécessaires. Mais ce n’est qu’une question technique, de détails. N’étant pas ingénieur spécialiste du béton armé, ce n’est pas à moi de résoudre les problèmes de résistance des matériaux.  L’essentiel est que l’idée soit là.

Quelle est actuellement votre conception de l’architecture? A-t-elle évolué depuis la construction de Brasilia?

Certes les techniques nouvelles permettraient aujourd’hui de faire peut-être de manière différente les bâtiments de la place des Trois Pouvoirs. Mais ce n’est même pas certain; les modifications que j’apporterais aujourd’hui ne seraient pas forcément substantielles. Baudelaire a écrit que l’inattendu, l’irrégularité, la surprise et l’étonnement sont une partie essentielle, une caractéristique de la beauté. Je crois qu’il a raison. L’œuvre architecturale doit être belle, légère, différente. J’ai toujours été rebelle aux règles préétablies, aux contraintes didactiques, à l’angle droit, qui est une création rigide de l’homme.  Quand Le Corbusier, cet admirable architecte, le maître par excellence de ma génération, a monté la rampe du palais du Congrès, à Brasilia, il a eu ces mots que je n’ai pas oubliés: «Ici il y a de l’invention.»  L’imagination est le point de départ de l’architecture. Dès la construction de Pampulha, à la périphérie de Belo Horizonte, au début des années quarante, j’ai voulu faire quelque chose de différent. J’ai eu la chance de rencontrer un homme exceptionnel, Juscelino Kubitschek, maire de la ville à l’époque, qui avait la force de l’enthousiasme. Très vite nous sommes devenus des amis, malgré nos divergences politiques. En me donnant une liberté totale de création, il m’a permis de m’exprimer. Il est rare qu’une telle chance surgisse dans la vie d’un architecte. On m’a beaucoup attaqué, car je remettais en question les dogmes traditionnels du classicisme et du rationalisme. Mais je suis resté indifférent aux critiques.

Lorsque vous parlez d’imagination, qu’entendez-vous par là? Estimez-vous que votre architecture n’a pas de précédent?

On peut ne pas aimer les monuments et les palais que j’ai bâtis à Brasilia, mais personne ne niera qu’on n’a jamais rien vu de pareil auparavant. On a essayé d’imiter ici et là le palais présidentiel de l’Alvorada,’ ce qui m’honore. Je ne crois pas cependant que l’architecture soit un exercice d’imitation, sauf peut-être lorsqu’il s’agit de constructions immobilières. Il faut savoir se dépasser, briser les carcans qui nous cernent et inventer. Heidegger a dit que la raison est l’ennemie de la pensée. Donc de l’imagination. Or, la beauté exige en architecture la liberté, mieux: la surprise. Alors que l’angle droit sépare, divise, j’ai toujours aimé les courbes, qui sont l’essence même de la nature environnante. Il n’est pas facile de les dessiner, de leur donner la spontanéité qu’elles exigent et de les organiser ensuite dans l’espace pour offrir le spectacle architectonique que l’on recherche. Je dis, comme Matisse, que mes courbes ne sont pas folles.  Elles ont un sens. Le Corbusier, qui avait proclamé la vertu de l’angle droit, a lui même commencé, à partir d’une certaine date, à le mépriser. Il a fini par admettre que nous avions raison. «Tu fais du baroque, m’a-t-il dit un jour, mais tu le fais très bien.  Tu as les montagnes de Rio dans les yeux.»

Vous vous référez constamment à Le Corbusier. L’avez-vous bien connu personnellement?

Je travaillais dans l’équipe de Lucio Costa, alors directeur de l’école des Beaux-Arts, à Rio de Janeiro. Un jour c’était en 1936, si je ne me trompe il m’a demandé d’aller avec lui accueillir Le Corbusier à l’aéroport de la ville. Vous imaginez l’émotion du jeune architecte que j’étais! Tous ceux de ma génération, au Brésil, avaient déjà une admiration sans borne pour cet homme qui venait du vieux continent, chargé de culture et d’idées nouvelles. Notre architecture était très classique, elle n’avait rien d’original. Le Corbusier par son savoir a tout chamboulé.  J’avais à peine vingt-neuf ans lorsqu’il a fait le projet du ministère de l’Education et de la Santé publique à Rio de Janeiro. Je sentais déjà que je serais un architecte à part.  J’avais le don du dessin depuis l’âge de sept ans. Ma mère gardait tous ceux que je faisais à l’école. Lorsque j’ai eu le projet de Le Corbusier entre les mains, j’y ai apporté quelques modifications, pour mon plaisir de 10 mètres au lieu de 4. Comme il s’agissait d’un travail d’équipe, sous la direction de Le Corbusier, le projet final a tenu compte de toutes les suggestions avancées. Nous le lui avons envoyé pour avoir son approbation. Il l’a fait publier dans une revue en y rajoutant par dessus son croquis.

On vous prête l’idée que l’architecte doit travailler seul, sans faire appel à des collaborations extérieures. Vos œuvres démontrent pourtant le contraire. Prenons l’exemple de l’appel qu’à Pampulha vous avez fait à Candido Portinari, le grand peintre brésilien.

J’ai toujours affirmé que c’est l’architecte qui doit choisir les peintres ou les sculpteurs qui embelliront son œuvre.  C’est ce que j’ai fait. Lorsque je conçois un espace vide, une salle, un amphithéâtre, je sais d’avance si je mettrai un mur de granit, des tapisseries ou des tableaux. L’architecture est un tout qui exige une symbiose entre la structure et la décoration. Lorsque j’ai construit le siège du Parti communiste français à Paris, une de mes œuvres préférées, Jacques Duelos m’a demandé: «Oscar, est-ce que je peux mettre dans ma pièce un vieux bureau auquel je tiens beaucoup? C’est un meuble historique.» J’ai apprécié son respect pour mon travail d’architecte. Ce n’est pas toujours le cas. On a mis dans la nef de la cathédrale de Brasilia des sièges que je trouve horribles. La dernière fois que j’ai rencontré Jack Lang, le ministre français de la Culture, il m’a interrogé: «Ces chaises sont toujours là?»

Puisque vous parlez de la cathédrale de Brasilia, pourquoi l’avez-vous conçue à l’inverse des lieux de culture classiques? Une galerie d’accès sombre, puis une nef éblouissante de lumière. Le contraste est saisissant.

Je n’ai pas voulu faire un lieu de pénitence. Je me suis mis dans la peau d’un chrétien, même si je ne suis pas croyant. Le fidèle entre par une rampe descendante, un passage sombre dans le sol, avant de s’engager sous la couronne de béton et de verre dont les parois sont translucides. Pour donner plus d’éclat à la nef et atténuer en même temps les rayons du soleil, j’ai imaginé des vitraux conçus de telle manière qu’ils ne puissent pas masquer le ciel. Marianne Peretti a fait à cet égard un travail admirable. Allongée sur le sol, dans une position inconfortable, elle a dessiné chacun des seize vitraux dont la surface est aussi grande que celle d’un terrain de basket.  Contrairement à la Pyramide du Louvre, la nef de la cathédrale est ouverte sur l’espace.  En la visitant pour la première fois, le nonce apostolique a dit à l’évêque de Brasilia: «L’architecte qui a fait ce chef-d’œuvre doit être un saint pour avoir trouvé un lien aussi étroit entre la terre et le Seigneur.» Pourquoi ne serais-je pas ému en évoquant ses paroles?  J’y ai été très sensible.

Vous ne pouvez nier que vous vous êtes plus intéressé à l’architecture monumentale qu’aux logements sociaux. N’y a-t-il pas une contradiction entre votre engagement politique et votre d’architecte?

J’aurais pu gagner beaucoup d’argent en me laissant tenter par des opérations de type paternaliste ou par la spéculation immobilière. Ce n’est pas dans mon tempérament, je n’ai pas l’appât du gain. J’ai construit les monuments de Brasilia avec mon salaire de fonctionnaire public, sans dessous-de-table ni commissions. Cela m’a permis d’être libre et de me sentir à l’aise pour travailler. J’ai néanmoins fait quelques tours résidentielles dans le nouveau quartier de Barra da Tijuca, à Rio de Janeiro. Dernièrement j’ai aussi fait des écoles dont la conception commence à être généralisée. Bien qu’elles soient préfabriquées, j’ai essayé de tirer le meilleur parti des contraintes budgétaires.  L’architecture est un métier comme un autre pour gagner sa vie. Mais quand on a eu comme moi un mécène de la stature de Juscelino Kubitschek, il faut savoir mettre à profit sa chance pour se réaliser et se dépasser. J’ai toujours refusé l’idée médiocre de la facilité. L’architecture doit conduire à la beauté. Comment y parvenir sans prendre le risque de commettre des erreurs? Il m’est arrivé de modifier au dernier moment un projet parce qu’il manquait de perspective ou qu’un ami me faisait une remarque judicieuse. Je ne me considère pas comme un architecte hermétique. Je suis prêt à n’importe quelle concession, ou fantaisie, qui puisse conduire à plus de beauté plastique.

Vous êtes pourtant intransigeant d’une certaine manière lorsque vous affirmez que l’architecture ne peut être belle que si elle est le fruit d’une invention, d’une rupture inédite.

Je n’ai aucun enthousiasme pour l’architecture rationaliste avec ses limites fonctionnelles, sa rigidité structurelle, ses dogmes et ses théories. Le béton armé permet à l’architecte qui a le sens de la poésie de s’exprimer.  L’architecture est faite de songe et de fantaisie, de courbes et de grands espaces libres.  Il faut savoir inventer, en faisant appel à toutes les techniques qui sont à notre disposition. Pourquoi se soumettre à des règles, à des principes intangibles? Quand j’ai conçu les monuments de Brasilia, je n’ai pas lu une seule revue d’architecture, pour ne pas me laisser influencer. Je l’ai fait sciemment.  Ce que j’admire le plus chez un architecte, c’est sa liberté. Gaudi, dont l’œuvre la plus connue est l’église de la Sagrada Familia, à Barcelone, est un architecte confus. Mais il a eu le courage d’enfreindre les règles établies.  En cela, il occupe une place particulière dans l’architecture moderne, même si Le Corbusier a joué un rôle bien plus important.  Lorsque j’ai fait le ministère des Affaires étrangères, à Brasilia, je ne me suis pas lancé dans une nouvelle forme d’architecture, comme certains l’ont écrit. J’ai tout simplement voulu prouver qu’il était facile de faire quelque chose qui plaise à tous, une architecture techniquement correcte mais généreuse, qui n’exige pas de sensibilité particulière. Ce n’est pas le palais qui correspond le mieux à mon tempérament.

Si vous deviez donner un cours d’architecture à des étudiants, quels en seraient les principes?

On m’a demandé cette année d’enregistrer sur cassettes vidéo une série de douze cours pour la nouvelle université de Campos, une ville de 400 000 habitants, à 280 kilomètres de Rio de Janeiro. Je vais poursuivre l’expérience que j’avais commencée en Algérie lorsque j’ai construit, à la fin des années 60, l’université de Constantine. Je crois que la chose primordiale, avant même que l’étudiant suive des cours d’architecture, c’est de savoir s’il est doué pour ce métier. Il faut que les professeurs le connaissent, l’auscultent, découvrent ses penchants artistiques, ses connaissances générales, amorcent un dialogue pour l’informer des aléas de la profession. Il est indispensable, par ailleurs, qu’il sache dessiner. C’est la base de l’architecture. Il passera six mois dans une école pour apprendre à faire des dessins, techniques et décoratifs, et il perfectionnera ainsi son sens de la beauté. Une fois cette période terminée, il entrera dans un grand atelier où il apprendra à étudier une ville aussi bien sur le plan architectural qu’urbanistique. Il aura à ses côtés plusieurs assistants: l’homme du béton, l’homme de l’air conditionné, l’homme de l’eau, que sais-je, bref l’homme des détails techniques. Puis, pendant trois ans, il suivra sur le terrain l’édification d’un quartier ou d’une ville du début jusqu’à la fin. Il ne lui restera plus qu’à apprendre à écrire d’une manière sobre et concise pour expliquer son projet. J’ai remarqué dans ma vie professionnelle que ce sont souvent les textes, plus que les croquis, qui ont fait approuver mes travaux. Rares sont les néophytes qui, en définitive, comprennent le dessin d’un architecte.

Brasilia vous a donné une notoriété mondiale. Mais vous n’y avez jamais habité.  Pourquoi?

J’y ai vécu trois ans, le temps de mettre mes projets à exécution. A l’époque, c’était le bout du monde. Il fallait parcourir mille kilomètres sur des routes embourbées pour rejoindre Rio de Janeiro ou São Paulo. Je vivais dans un modeste studio: un lit, une table, deux chaises, un placard. J’étais entouré de quelques amis. Il n’y avait pas que des architectes. Il y avait parmi eux deux journalistes, un joueur de football, un poète.  Le soir nous grattions les cordes de nos guitares, nous chantions pour nous délasser. Il n’était pas question de parler du travail.  C’est comme cela que je conçois l’existence dans une joyeuse convivialité. Nous formions une grande famille avec les ouvriers qui nous côtoyaient, les putes des baraques en bois, les chiens qui aboyaient à longueur de journée. Un vrai far-west. Nous avions le sentiment que le monde allait changer. Pour des milliers de travailleurs venus de toutes les régions du Brésil, principalement du Nordeste, Brasilia représentait l’espérance. Le jour où la nouvelle capitale a été inaugurée, en avril 1960, en présence du président de la République et des corps constitués, tout a basculé. Les travailleurs se sont retrouvés plus pauvres qu’avant. Cela a marqué la fin des illusions. Une fois mon travail terminé, je suis reparti. Plus jamais je n’ai retrouvé la même ambiance fraternelle. Aujourd’hui certains critiquent Brasilia, lui reprochent d’être inhumaine, froide, impersonnelle. Vide en somme. Mais ils ne la connaissent pas. Demandez à ceux qui ont de la famille, des enfants. Ils s’y plaisent. Ils ne connaissent pas l’agitation des grandes agglomérations urbaines. Les espaces sont aérés, les avenues bordées d’arbres. La lumière venue du ciel adoucit les mœurs. Lucio Costa avec son génie a fait de la nouvelle capitale un modèle d’urbanisme. Quant à moi, je me suis contenté d’être l’auteur des principaux monuments de la ville. Ce n’est pas de notre faute si elle est devenue la victime des injustices de la société capitaliste.  Vous allez me redire: pourquoi n’y habitez-vous pas puisqu’elle est à votre image? Je vous répondrai de manière très simple: je suis né à Rio de Janeiro, au bord de la mer, au pied des montagnes couvertes de végétation, tropicale. J’y ai toujours vécu.  Je sais que cette ville de six millions d’habitants est devenue invivable, avec ses bidonvilles chargés de misère, sa violence, son désordre, la pollution de ses plages, la frénésie de la vie quotidienne. Mais j’y suis habitué. Comment voulez-vous que je m’adapte ailleurs? J’aime Brasilia, mais à Rio

Film Testimony: Selection from Seven Films about Oscar Niemeyer by Andy Russell (english subtitles) and the film A vida é um sopro (the first of six parts, that can be followed on youtube) by Fabiano Maciel (in portuguese) …

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